Thursday, January 27, 2011

L'Egypte peut-elle suivre le chemin de la Tunisie?

Par Basile Lemaire, publié le 27/01/2011 à 07:18, mis à jour à 12:26

Moins de deux semaines après les soulèvements en Tunisie, l'Egypte entre, elle aussi, dans une période de contestation. Deux régimes politiques similaires donneront-ils lieux à deux révolutions populaires? L'EXPRESS.fr fait le point sur le système politique Egyptien.
 
La révolution du Jasmin va-t-elle se propager jusqu'en Egypte ? Les points communs ne manquent pas : un pouvoir autocratique en place depuis des dizaines d'années, des élections qui n'en portent que le nom, un appareil sécuritaire et policier démesuré... Mais les différences qui séparent le régime égyptien et celui qui vient de chuter en Tunisie pourraient bien aussi faire avorter la contestation populaire qui gronde.  
"Une certaine dose de liberté d'expression"
Mohammed Hosni Moubarak, au pouvoir en Egypte depuis 1981, parvient à se maintenir à la tête de l'Etat depuis plus de trente ans en resserrant l'étau sécuritaire en période d'élections. Pour le politologue du CNRS Jean-Noël Ferrié, "le système Moubarak est très habile. Il distille une certaine dose de liberté d'expression. Il n'empêche pas le débat, il le contrôle. Cela permet à la population d'avoir un sentiment de liberté." D'après ce spécialiste de la politique contemporaine égyptienne, "une grande partie des médias est verrouillée, mais les journaux d'opposition existent et ne mâchent pas leurs mots. Moubarak n'est pas dérangé par la critique, il la maîtrise et fait en sorte qu'elle ne se propage pas." 
Des revendications sociales mais pas politiques
Du côté de la rue, la contestation existe aussi. Depuis les années 2000, la chape de plomb qui recouvrait jusqu'à l'idée d'une manifestation s'est doucement fissurée. Les grandes grèves de 2006 et 2008 ont provoqué de légers reculs du pouvoir. Pour le seul mois de juillet 2009, on recense (AEEPS, 2009) près de 42 mobilisations collectives concernant des catégories très diverses de la population : journalistes, mineurs, experts du ministère de la justice, pêcheurs, ouvriers, camionneurs, avocats, enseignants, employés des bureaux de poste, employés d'hôtels, etc. Pour Tewfik Aclimandos, chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France "Il ne faut pas sous-estimer la souplesse de ce régime. Il a su gérer l'émergence de ces manifestations. Il a réussi à les localiser et à empêcher la jonction des différents intérêts. Ce régime laisse s'exprimer des revendications sociales du moment qu'elles ne deviennent pas politique."  
Les manifestations du 25 janvier dernier ont réunies près de 15 000 personnes. Un chiffre à remettre en perspective avec les 80 millions d'Egyptiens qui composent le pays. Soit plus de 8 fois la, population tunisienne. Au-delà du régime et de ses soutiens, la société elle-même est très différente. Pas de classe moyenne sur laquelle la révolution pourrait s'appuyer durablement. Selon Sarah Ben Néfissa, Politologue, chercheuse à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), "une bonne partie des diplômés de l'enseignement supérieur s'est paupérisée à cause du chômage ou de la baisse du pouvoir d'achat. Il ne faut pas oublier que 40% des Egyptiens vivent sous le seuil de pauvreté." 
"Une armée fidèle"
"Tant que l'armée aura l'impression de défendre l'Etat égyptien, elle le défendra sans états d'âme". Sur ce point, Tewfik Aclimandos, interrogé sur France Culture, est rejoint par Jean-Noël Ferrié qui ajoute : "L'entourage de Moubarak n'a rien à voir avec celui de Ben Ali. Tous les chefs d'Etat depuis 1954 sont issus de l'armée. La corruption existe, mais l'armée est fidèle. Ce qui tient réellement les forces militaires à disposition du pouvoir, c'est avant tout l'idée de servir l'Etat." La fidélité de l'armée vient également du fait que Mohammed Hosni Moubarak est vu comme un grand chef militaire, à l'inverse de son fils, censé reprendre les rênes du pouvoir après lui.  
"Une justice indépendante"
La constitution égyptienne prône une séparation des pouvoirs, identique à celle qui régit les démocraties occidentales. Créée en 1979, la Haute Cour constitutionnelle (HCC) veille à son respect. Pour Eberhard Kienle, directeur de recherches au CNRS, "le principe de la séparation des pouvoirs est clairement respecté dans le domaine de la justice". "À maintes reprises, la HCC a donné une interprétation 'libérale' de la Constitution et jugé contraires à celle-ci des lois peu soucieuses des libertés individuelles." D'après Jean-Noël Ferrié, "les magistrats ont une grande éthique professionnelle. Ils leur arrivent de se positionner contre le gouvernement." 
Une opposition islamique
Les frères musulmans, le premier groupe d'opposition en Egypte, ont connu jusqu'à 88 sièges au Parlement - sur 454 - entre 2005 et 2010. Laminés aux dernières élections législatives, après l'arrestation de centaines de leurs partisans, ils restent très prudents face aux contestations de la jeunesse égyptienne. "Ils savent qu'au moindre faux pas le régime n'aura aucun problème à accentuer la répression sur eux, explique Jean-Noël Ferrié. Les Frères musulmans pensent que le mouvement ne durera pas, et ils n'ont aucune envie de soutenir de 'jeunes libéraux en colères'." Pour le chercheur, cette opposition islamique dans un pays qui compte plus de 90% de musulmans n'est pas pour rassurer les alliés internationaux de l'Egypte, qui "préfèrent sans doute un pouvoir autoritaire et libéral à une révolution islamique". 
Les Etats-Unis : un allié partagé
L'Egypte est le deuxième bénéficiaire du soutien économique américain -1,7 milliard de dollars par an - après Israël. Pour Marc Lavergne, directeur du Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) au Caire, interrogé par TV5 Monde, "l'avènement de la démocratie pourrait devenir un cauchemar pour Israël, le principal allié américain dans la région. Ils sont partagés entre le coeur et la raison." Dans le cas de la Tunisie, les Etats-Unis pourraient avoir choisi de ne pas soutenir Ben Ali. Mais l'administration américaine est prudente quand il s'agit de l'Egypte: "Nous soutenons les droits universels de réunion et d'expression", a assuré la Maison Blanche dans un communiqué, tout en assurant l'Egypte qu'elle reste une "alliée proche et importante, et continuera de l'être". 
Tous les ingrédients qui ont permis la révolution du jasmin en Tunisie ne sont donc pas réunis en Egypte. Mais un renversement de régime n'est pas une science exacte qui obéirait à un schéma unique pré-établi. Le jasmin pourrait-il alors devenir le parfum de liberté qui manquait encore à la colère populaire égyptienne? 


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